"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant où l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses" (Milan Kundera, La vie est ailleurs)

vendredi 30 avril 2010

12 jours sur les routes australiennes

« Stand clear of the closing doors please ! » Le métro s’enfuit en direction de Circular Quay. Plongé dans le vaste océan de ses pensées, Jonas s’agrippe à la barre métallique sur laquelle danse un ballet de mains.

Nos souvenirs et les stations défilent. Les corps sont muets, le silence nous embrume, le silence mécanique du wagon qui fuse au cœur de Sydney, le silence des gens, ces gens qui nous ressemblent tellement malgré les milliers de kilomètres qui séparent leur continent de notre petit pays.

Le spectacle qui nous cueille lorsque nous franchissons l’écran de lumière parait irréel. Le pont, les quais, la mer et l’opéra…


Il est dix heures, les rues de la riche cité australienne sont désertes. Assis sur nos compagnons de route, ces kilos de voyage, de vie et de souvenirs qui nous rongent les épaules, nous attendons Vincent, mon ami toulonnais.
Arrivé à Sydney quelques jours auparavant, Vincent va savourer l’aventure australienne avec nous.



Circular quay s’anime. Un ferry jaune et vert déverse à nos pieds une marée d’humains. Etudiants, hommes d’affaires et joggers nous croisent d’un pas décidé, dans un silence assourdissant. Seuls quelques talons de femmes témoignent de la vie d’une cité qui s’éveille à peine. Le contraste avec le tourbillon de sens de l’Asie où les couleurs et les sons se répondent nous déstabilise.

Vincent nous rejoint enfin, armé de son sac et d’un large sourire. Tant de choses à se dire ! Les questions se croisent, les rires se bousculent et se mêlent dans le plus grand chaos.
Dans l’auberge de jeunesse, nous réunissons nos états majors pour établir carte sur table notre plan de bataille pour les jours à venir. Charlie alpha kangourou. Départ de Sydney dans deux jours, direction Blue Mountains, une percée héroïque dans la Hunter Valley, puis nous gagnerons la côte par le flanc !

Nous profitons encore quelques jours de Sydney, l’exotique cosmopolitaine. C’est une ville parfaite. Presque trop parfaite. Chaque bâtiment, chaque jardin, chaque parc se fond dans une harmonie fascinante.
La vie s’écoule paisiblement, les gens sont zens, le métro aérien transperce l’ombre des buildings, les foules traversent les rues en diagonale, les jeunes montent planche sous le bras dans les bus de la côte, les ferries serpentent entre les baies ensoleillées, Vincent, Jonas et moi-même nageons dans la grasse pelouse de Botanic Garden, sous les oiseaux tropicaux.

Mes deux compagnons découvrent Sydney. Pour ma part je l’ai rencontrée il ya dix ans, dans une ferveur singulière, puisque l’on y célébrait le millenium dans une orgie de feux d’artifice.

Cette métropole du bout du monde, encore adolescente, porte sur elle les traces de son passé colonial. Policée, ordonnée, puritaine, sa respiration est britannique. Dynamique, sportive, entraînante, elle transpire l’Amérique.

Très vite, un triste constat s’impose à nous. On ne voit pas d’aborigènes. En plus de dix jours, nous n’en n’avons croisé qu’une poignée : pauvres, isolés, exclus d’une société occidentale qui s’enorgueille pourtant de leur art, transforme en carte postale une culture exterminée il y a plus d’un siècle, désormais reléguée à vendre des disques de didjerrido mixé à la techno sur les quais .

Road Trip : c’est parti !

Le break est enfin entre nos mains. Nous sommes excités à l’idée de cette traversée fantastique. Nos yeux ont usé les cartes routières. Il faut domestiquer l’animal automatique. Jonas se sacrifie pour un rodéo britannique. La vigilance s’impose sur ces routes inconnues, volant à droite, voie de gauche…

Premier carrefour, notre dévoué conducteur met un coup de lave glace ; même la position des clignotants est inversée. Deuxième intersection, et nous voilà sur la voie de droite, défiant un troupeau de voitures. Fous rires nerveux.

On quitte enfin Sydney pour les Blue Mountains. Nous arrivons la nuit tombée entre Gleenbrook et Katoumba (elle danse tous les soirs) au cœur d’un parc naturel, remettant le grandiose au lendemain. Sur le grand parking du parc où dorment déjà quelques vans de backpakers, nous passons notre première nuit de road trip à l’arrière de la voiture.

Nous partons au petit matin (10h30) à l’assaut de ce paysage unique au monde. Suspendue au dessus de forêts d’eucalyptus, une brume bleue envahit la vallée, lui donnant une teinte mystique.


Nous nous enfonçons profondément au cœur de cette jungle à la végétation démesurée, avalés par les fougères géantes, les lianes (en folie), esseulés au milieu des chutes d’eau, des gommiers et des rires de cacatoès…
Après cinq heures de descente, nous arrivons au fond de la vallée, devant une gigantesque cascade, cliché du paradis terrestre. Nous sommes seuls. Malgré le froid, Vincent quitte ses vêtements, se transforme en homme Dim, et se jette dans l’eau trouble.




Hunter Valley

La nature ça va un temps. Place à la civilisation, à la culture, au patrimoine, à l’art du palais… Longs en bouche, nez devant, nous partons pour la Hunter Valley, la vallée du vin. Nous buvons d’une traite les hectares de vignobles qui nous séparent de Cessnock, domaine réputé, pour arriver juste à l’heure de la dégustation.

Vincent, fin connaisseur, divague effervescent sur les jambes et ménisques des liqueurs qu’il déguste, lit dans les larmes et s’amuse à regarder sous les jupes des filles qu’il fait valser dans son ballon. Il fait parler le vin, aiguise son palais, pendant que Jo anesthésie le sien en achevant toutes les couleurs qui traînent imprudentes sur le comptoir.



Nous sommes inscrits pour la visite de 14h. Bientôt la Winerie de Cessnock nous livrera ses mystères. Nous profitons de ce temps (ivre) mort pour casser la croute, dans l’entrée, entre deux Mercedes, où nous déballons sans honte notre attirail de camping.

Seal Rock

Au détour d’un virage Seal Rock montre le bout de son cap, de sa péninsule. De longues plages sauvages, lavées par les vagues, s’échouent au pied de falaises ocres et rugueuses. L’océan s’écrase plus bas, nous brulant les yeux de son bleu insolent. Il crache son écume avec force, déchainé de beauté. Furieux pacifique…



Nous abandonnons le temps sur le sable (Jonas son maillot) pour aller affronter ces vagues grasses, ces avalanches de sel. En revenant de la plage, nous rencontrons Virginie, cachée derrière son longboard, jeune étudiante française exilée en fac de surf ou surfeuse importée en fac australienne, bref un peu de tout ça, et avec qui nous passerons notre dernière soirée à Sydney.

Le soir, sur l'asphalte, on partage entre amis le repas du soir, près de la plage, à cinquante mètres d’un camping dans lequel nous ne dormirons pas. Six jours que nous portons les mêmes habits, que nous dormons dans la voiture entre réchauds et bagages ; six jours que les toilettes publics nous servent de douche et de bac à vaisselle ; Six jours comme des manouches sans guitare.

Il est temps de redescendre la côte vers les dunes d’Anna Bay. Je prends le volant pour mon baptême de conduite anglaise, ou pour ceux qui préfèrent une image hédoniste (spéciale Onfray), mon dépucelage britannique.