Bientôt le froid figera le desert du Thar. Lilou et Pilon, nos deux guides s’attèlent a preparer le souper. Avec Jonas, nous cassons les branches sèches et grouillantes de vers que nous avons trouvées ici et la sur notre chemin.
Le Dahl, plat épicé à base de choux, de pommes de terre et de riz est prêt et servi dans nos assiettes métalliques. Le traditionnel Chapati accompagne ce met du pauvre.
Depuis ce matin, nous sommes seuls avec eux, les 6 autres touristes: anglais, americains, japonnais et néerlandais avec qui nous étions ont choisi de ne passer qu’une nuit dans le desert. Vivre un sommet du G8 en plein désert fut une expérience intéressante mais nous sommes heureux de retrouver notre solitude commune et de la partager avec deux indiens.
Autour du feu, nous échangeons sur nos modes de vie, sur nos vies elles-mêmes.
Lilou a 22 ans. Piron 26. Ils en font dix de plus. Piron a deux enfants âgés de 3 et 6ans, Lilou se marie le mois prochain et n’a jamais vu sa promise.
Ils ne savent ni lire ni écrire, connaissent des brides de phrases dans plusieurs langues, taillees sur mesure pour le touriste, et dont ils ne connaissent parfois meme pas la signification.
Ces deux amis d’enfance sont des “intouchables”, des “parias” c’est à dire au plus bas de l’échelle des castes. Au sommet, les Brahmanes, seigneurs ou religieux par naissance, sortis de la bouche de Brahma.
Le cosmos decide et ordonne. Drôle de démocratie qui a su conserver cette tradition ancestrale.
Nos conceptions occidentales, teintees d’une arrogance certaine, se heurtent sur de nombreux sujets contre le mur culturel qui nous sépare.
Socialement, ce n’est pas un mur mais un monde qui nous éloigne. Ils gagnent 1000 roupies par mois, soit environ 15 euros. L’été, la chaleur insupportable rend les expeditions dans le desert impossibles. Alors ils vont casser des pierres, pour 500 roupies…
Jonas écrit sur le sable son salaire, converti en roupies. Les zeros s’enchainent sous leurs regards médusés.
"Regarde leurs têtes" me souffle Jonas. Un silence s’installe. Puis Piron montre une étoile, la bonne étoile de Jonas. " No, it’s not normal, it’s unfair"
La lune illumine l’océan de sable. Les silhouetes de nos dromadaires, immobiles, decoupent la nuit indigo. Jonas s’est éloigné au sommet d’une dune, écœuré.
" Jonas! Viens! Ziva ! viens! Jonas! Bouze ton ciou ! " crient en cœur les deux chameliers. Il revient en se marrant. Autour du feu, nous les écoutons chanter d’une voix bouleversante des chants traditionnels, rythmes par les percussions des bidons d’eau. Ils nous enseignent ensuite un jeu traditionnel sur le sable, semblable aux dames. Nous rions. Ces moments de fraternité ont un gout d’éternité.
"Il n’y a pas d’amis, que des moments d’amitié>" disait Jules Renard.
Nous ne les reverrons certainement jamais. Mais ce qui est certain c’est que l’amitié n’a pas de géographie.